Editorial par Murielle Lefebvre
Pour l’enseignement des mathématiques, depuis longtemps, les outils sont nombreux. (Le terme calcul vient du nom latin « calculus » qui signifie caillou).
Passionnée par cette matière, je recherche fréquemment des informations et outils pédagogiques. Les collégiens que j’aide dans ce domaine, n’ont pas eu accès à la manipulation et j’essaie de les réconcilier avec leurs capacités à accéder à ce langage.
Car les mathématiques sont un langage dont l’alphabet est un peu plus complexe que celui du langage parlé. On le lit, on l’écrit, on l’interprète.
En matière de pédagogies et d’outils, j’ai découvert des noms voire même des couples de noms : Catherine Stern-Georges Cuisenaire, Frédéric Froebel-Maria Montessori, et finalement chacun s’inspire et inspire les autres au-delà des continents et des époques.
Nous ne rentrerons pas dans la polémique de « qui a inventé la réglette colorée ? » par exemple mais si on s’en sert c’est que son objectif est atteint dans l’utilité auprès de l’enfant et c’est cela qui compte, n’est-ce pas ?
Certains des matériels sont modifiés, transformés telles les perles dorées transformées en cubes en bois.
Pourquoi des outils ?
Ils sont la représentation sensorielle de ce langage abstrait. On voit, touche, construit, la plupart du temps en 3 dimensions. Certains ont plus besoin de toucher, voir, manipuler que d’autres. Pourquoi si peu d’outils et de manipulations aujourd’hui dans les écoles maternelles et primaires françaises ?
Réponse : C’est dans notre culture (puisque les outils existent depuis longtemps et qu’on ne les systématisent pas). Dommage car on gagnerait tous à manipuler vraiment des outils jusqu’à ce que la modélisation abstraite se fasse.
Les américains développent plus les outils et les déclinent en « mortensen », « math u see », les petits asiatiques font des concours de vitesse de calculs avec le boulier et battent les utilisateurs de la calculette.
Je vous laisse lire et apprécier le texte de Sophie ci-après, que je remercie pour sa richesse de contenu et le partage qu’elle en fait.
Murielle LEFEBVRE
====
Mathématiques expérimentales
Chez l’enfant, l’expérimentation en mathématiques est nécessaire pour bâtir des capacités à l’abstraction. La manipulation d’objets, en particulier, permet à l’enfant de donner du sens aux apprentissages; elle facilite la construction des savoirs et permet d’établir des liens entre eux.
« Pour construire un concept mathématique, deux phases sont indispensables : une phase d’action et une phase de représentation mentale. La première permet de donner du sens à l’apprentissage, l’autre […] est une phase d’abstraction, d’élaboration des concepts [où] s’établissent des relations entre des situations perceptiblement différentes mais relevant d’un même modèle abstrait, principalement au travers du geste mental d’évocation. » [1].
Les objets constituent un véritable outil de mise au travail effectif. Leur utilisation facilite la concentration et la réflexion chez l’enfant. La manipulation sollicite d’autres canaux de communication (kinesthésique, visuel) là où l’enseignement « traditionnel » est essentiellement basé sur un mode de communication oral, elle permet alors « d’atteindre » tous les enfants.
L’enfant pouvant activer différents modes de représentation, il peut alors élaborer des images mentales, développer ces capacités d’évocation et de modélisation. Progressivement, l’expérimentation le rend capable de raisonner sur des objets abstraits.
Les mathématiques sont une construction qui prend appui sur le concret. La mathématisation d’un environnement réel est une étape, nécessaire en début d’apprentissage, pour permettre un passage à l’abstraction. Dans « La théorie des situations didactiques » 1998, Guy BROUSSEAU suggère, ainsi, un enseignement organisé autour du triptyque : expérimentation, formulation et validation à l’école primaire.
Dans les écoles secondaires, où les difficultés d’apprentissage des adolescents en mathématiques et en sciences sont massives, il est nécessaire de réintroduire du sens dans les enseignements. Les problèmes sont plus accessibles s’ils sont mis en relation avec un environnement familier, rapprochés d’une réalité concrète. « On peut facilement deviner que c’est la mise en scène des savoirs qui leur donne tout leur sens. » [2, CLAUDETTE p 39]
« [Ce] sens lié à la mathématisation du réel [peut être donné par] l’exploration de l’environnement de la classe [qui] fournit déjà une source quasi inépuisable de questions mathématiques réelles : au lieu d’additionner des vaches virtuelles à des moutons virtuels, pourquoi ne pas additionner des fenêtres réelles ?
[….] pourquoi ne pas déterminer le volume du tableau noir ?
Enseigner les sciences passe par la modélisation ; il en va de même en mathématiques » [3, J-P DROUHARD p13].
Une des recommandations essentielles du rapport de la Commission de Réflexion sur l’Enseignement des Mathématiques (CREM) en 2001, présidé par Jean-Pierre KAHANE, a été la création de laboratoires de mathématiques dans les collèges et les lycées.
Cette recommandation renoue avec l’idéal d’Emile BOREL qui, déjà, au tout début du 20ème siècle, défendait l’idée de la création de laboratoires de mathématiques. Dans sa conférence « Les exercices pratiques de mathématiques dans l’enseignement secondaire » de 1904 [4, p 58], il déclare : « Pour amener, non seulement les élèves, mais aussi les professeurs, mais surtout l’esprit public à une notion plus exacte de ce que sont les mathématiques et du rôle qu’elles jouent dans la vie moderne, il sera nécessaire de faire plus et de créer de vrais laboratoires de Mathématiques » . Dans ce même discours, il insiste également sur la nécessité d’établir des liens entre les mathématiques et la physique et « la création de laboratoires en partie communs ».
Intégrer l’expérimentation lors de l’enseignement des mathématiques a également l’avantage de modifier le rapport à l’erreur chez l’enfant. Les erreurs sont alors admises comme partie intégrante du processus de tâtonnement. L’erreur n’étant plus perçue comme une faute, l’enfant peut multiplier les essais, sans peur du jugement, et ainsi s’initier à la démarche scientifique. L’expérimentation lui permet alors de construire librement ses représentations et ainsi favoriser son autonomie en situation d’apprentissage [5, p 27].
Devenu chercheur, l’enfant peut contrôler la validité de son résultat ; responsabilité qui revient habituellement à l’enseignant. La distance enseignant / élève s’en trouve alors totalement modifiée [2, DIAS, p27] et [6, DIAS] ce qui contribue également à la prise d’autonomie de l’enfant.
« L’enseignement théorique [des mathématiques] ne sera que mieux compris s’il est accompagné d’exercices pratiques […] il ne faut pas croire aveuglément à tout raisonnement, à toute démonstration d’apparence scientifique, mais se dire toujours que la conclusion n’a de valeur qu’autant que les données ont été scrupuleusement vérifiées par l’expérience. » [4, p 61].
En outre, le « décentrage » de l’enseignant favorise l’installation du débat au cours duquel les élèves peuvent confronter leurs procédures de résolution, verbaliser, argumenter. Ces activités les conduisent à développer leur esprit critique, à pratiquer un acte citoyen.
Enfin, l’expérimentation, s’appuyant sur du matériel manipulable, permet aux élèves de de bâtir des notions sans être freinés par une mauvaise maîtrise de l’acte grapho-moteur. Affranchis de la lourdeur du geste graphique, véritable parasitage, l’enfant dispose de ressources supplémentaires disponibles pour la construction des concepts. Ainsi, travailler avec des éléments géométriques mobiles donne un meilleur accès à la compréhension de leurs propriétés, facilite la mise en relation et la comparaison des objets géométriques. « On oublie trop souvent que la géométrie pure est une science à base expérimentale [..] Toute la géométrie repose sur deux notions primordiales indéfinissables : celle d’une figure de géométrie invariable et celle du mouvement […] La possibilité du déplacement des figures invariantes étant la raison d’être même de la géométrie, c’est le déplacement qui doit être naturellement l’instrument fondamental de la démonstration dans cette science » extrait de l’article « Géométrie et dessins géométriques » du Nouveau Dictionnaire de Pédagogie (1911).
Il s’agit donc de privilégier l’activité de l’élève car selon Jean JULO [7] « plus on agit, plus notre représentation se structure ». Permettre à l’élève d’agir, c’est lui permettre de s’approprier les notions de mathématiques, de quitter sa posture de « récipient » passif et devenir acteur de sa propre construction.
Sophie KANMACHER BELAIDI
Enseignante en Mathématiques et Physique à Genève
Docteur en Physique Théorique
[1] « De l’importance des gestes pour l’apprentissage des concepts mathématiques » Catherine Berdonneau, conférences pédagogiques, IUFM de Versailles
[2] « Enseigner les mathématiques aujourd’hui », Les cahiers pédagogiques N°427
[3] « Mathématiques : la question du sens », Les cahiers pédagogiques N°466
[4] Conférence « Les exercices pratiques de mathématiques dans l’enseignement secondaire » de mars1904, Emile Borel
[5] TFFI : « De l’intérêt des dessins et des objets lors de la résolution de problèmes », S. Kanmacher Belaidi, N. Bique, 2008
[6] Lettres d’échanges des réseaux d’éducation prioritaire, N° 22, mars 2005
[7] « Représentation des problèmes et réussite en mathématiques » Jean Julo, les Presses Universitaires de Rennes, 1995
====
Aide-moi à faire seul …
Je suis Orthophoniste auprès d’enfants et d’adolescents ; mon métier consiste en une remédiation (appelée aussi « rééducation ») des troubles d’apprentissage ou du développement en général. Dans cette relation d’aide, il faut être vigilant à ce que ne s’installe une trop forte relation de dépendance qui se crée au fil du travail et qui peut parfois prendre l’allure d’un véritable « Syndrôme du pieds de tomate » comme l’a décrit Bernard Grégorcic. C’est pour moi une des difficultés de mon travail : veiller à ce que l’enfant ne s’accroche pas trop à notre relation comme un végétal à son tuteur et puisse s’en dégager pour être autonome dans sa pensée en particulier.
C’est là que ma rencontre avec Murielle et les concepts de Maria Montessori ont véritablement révolutionné ma pratique professionnelle ; comme une planète, j’ai réalisé un tour complet sur moi-même pour repartir du départ !
Je suis tout particulièrement marquée par la phrase clef de Maria Montessori « Aide-moi à faire seul ». Déjà cruciale en matière d’enseignement où l’adulte a un devoir de seul accompagnement pour guider l’enfant à « s’élever », je trouve qu’elle a toute sa place en matière de remédiation où l’enfant doit (re)trouver des moyens, le plaisir d’apprendre et la confiance en lui-même sans que ce soit grâce à de simples béquilles inconfortables, même si elles sont parfois indispensables en tant que telles au départ.
Enfin, parallèlement à toute la théorisation sur les périodes sensibles qui vaudrait largement la peine d’être connue par l’Education Nationale, je me suis passionnée pour la richesse du matériel élaboré par Maria Montessori, si « concrêtisant » et que j’utilise dans ma pratique quotidienne, pour la rééducation de la logique et des mathématiques en particulier.
Quel bonheur que ces séances où un enfant arrive avec une demande précise, « prend » le matériel à bras le corps (au sens strict du terme) et com-« prend » une notion nouvelle avec la certitude de la faire sienne dans un plaisir évident d’accès à l’autonomie de sa pensée !
Une dernière petite pensée : Maria Montessori souligne l’importance de la main dans la découverte du monde et les apprentissages. Nous « mettons » véritablement les enfants au monde, nous les « élevons » en les accompagnant … tout ceci me fait penser à Yves DUTEIL que j’écoutais étant enfant : « prendre un enfant par la main, et l’emmener vers demain, pour lui donner la confiance en son pas, prendre un enfant pour un roi … » (est-il montessorien ?).
Christine NOUGAROLLES, Orthophoniste dans un Centre Médico-psycho-thérapeutique pour enfants et adolescents.
===
Petite histoire vraie
Après deux articles didactiques sur la pédagogie je viens partager avec vous, cette fois ci, « une petite histoire vraie » :
Ayant besoin d’aide pour mon site, j’ai passé ma matinée à téléphoner à des conseillers techniques sur internet.
J’ai déjà eu à faire à deux personnes, la première m’a apporté une aide rapide et efficace mais incomplète, la seconde plutôt impatiente de prime abord. Je n’arrivais pas à expliquer vraiment mon problème à cette dernière, d’autant plus que j’avais l’impression qu’elle avait une idée de ma situation qui ne correspondait pas à ce que moi j’en percevais. Nous étions au cœur d’un malentendu !
Cette personne me dit : « je vais chercher une information » et ne revint pas !
J’attends plus de dix minutes décidée à de ne pas lâcher.
Soudain une voix positive et chaleureuse me dit : « que puis-je faire pour vous ? Donnez moi votre numéro que je vois votre dossier…
Bien !
Je vois ce dont vous avez besoin, je vais vous expliquer. »Je lui fais part alors de ma satisfaction de rencontrer quelqu’un comme lui, qui de fait, m’encourage.
Pourtant cela ne va pas être simple, il va le reconnaitre, « C’est vrai que cela ne marche pas, on va trouver un autre moyen » me dit-il. Il me fait part de ses impressions, partage ses interrogations. Nous devrons télécharger un logiciel. Il ne va pas me lâcher tant que le problème ne sera pas résolu, m’encourageant et surtout me donnant des explications simples. Il attend que j’expérimente ce qu’il me demande de faire, je ne me sens pas pressée. « Regardez ça marche ! » me dit-il. Lorsque le problème est résolu, il partage ma satisfaction, va sur mon site et me félicite !
Cet interlocuteur avait une bonne connaissance du sujet ainsi que ses différentes déclinaisons possibles. Il a manifesté de la confiance dans la réussite de cette opération compliquée, et de la sincérité, partageant ses impressions au cours du processus. Il s’est exprimé avec simplicité : les qualités d’un bon pédagogue !
Bernadette Moussy